Pas plus tard qu'hier, j'écrivais au sujet de l'imaginaire de certains écrivains et des nombreuses possibilités qu'ils peuvent emprunter comme source d'inspiration. Pourtant, la palme de l'originalité reviendrait probablement à Georges Perec (1936-1982), un auteur français qui, en 1969, s'est prêté à un exercice de style en écrivant un roman sans même utiliser la lettre "E" (évidemment, sans compter les 4 "e" dans son nom).
Le résultat : un roman lipogrammatique (du grec qui veut dire "à qui il manque une lettre") de 300 pages ayant pour titre "La disparition".
Je n'ai pas encore eu la chance de le lire mais je l'achèterai sans doute pour pouvoir le placer dans ma collection de curiosités qui meuble ma bibliothèque. Que l'histoire soit palpitante ou non, c'est quand même tout un exploit ! Sinon, vous aurez le mérite de passer pour un intellectuel au goût raffiné :-)
Extrait :
Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.
Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir.
Perec a réutilisé la même technique qu'Ernest Vincent Wright dans son texte de 50000 mots intittulé Gadsby. Ce texte, publié en 1939, présente lui aussi la particularité de ne pas utiliser la lettre E. Vous pourrez voir un aperçu en allant zieuter le texte intégral.
Juste pour que vous réalisiez bien l'ampleur de la prouesse, ce court billet comptant un peu plus de 200 mots en excluant l'extrait du roman, compte plus de 100 fois la lettre E !
Et je sais qu'il existe aussi un roman qui contient la lettre e dans chaque mot ^^