samedi 24 novembre 2012
Dans mon sous-sol se cache un vrai bric-à-brac qui avait autrefois appartenu au propriétaire initial de la maison et dont j'ai hérité la responsabilité d'en faire le ménage lorsque je l'ai acquise suite à son décès. Entre le boulot et les rénovations, je n'avais pas eu beaucoup le temps de trier ce que j'allais garder et me départir jusqu'à tout récemment.
Une bouteille de verre graduée, très sale :
Sur l'étiquette à peine lisible :
Huile de pieds de boeuf.
Rx Pharmacie Trépanier
Prescriptions - Analyses
Jacques Trépanier, B.Ph., L.Ph.
7330 St-Hubert - Montréal
Tel. CA. 2124
Malgré son apparence banale, j'aime bien ce flacon, comme une antiquité qui témoigne d'une page d'histoire du quartier Villeray de Montréal. Surtout parce qu'une adresse, le nom d'un spécialiste et un numéro de téléphone y sont inscrits sur l'étiquette, on en connait l'origine.
Qu'est-ce qu'on peut bien faire avec de l'huile de pieds de boeuf ? À première vue, ça me semble un peu dégeulasse. Depuis combien d'années cette bouteille n'a pas été ouverte ? Je n'ose pas l'ouvrir et découvrir ce que ça sent. Et puis oui, j'ose. Ça ne sent rien de trop répugnant. Je goûte ? On se calme ! ;-)
Au XVIIIe siècle, elle était utilisée médicalement en pommade pour traiter les problèmes de peau sèche. De façon pratique, l'huile serait considérée comme le meilleur produit pour le traitement des cuirs désséchés. Selon ce que j'ai lu, ce serait à appliquer avec un pinceau sur le cuir jusqu'à ce qu'il l'ait tout absorbé (plusieurs couches peuvent être nécessaires). Est-ce encore aussi efficace après tant d'années ? Je l'ignore. Et quelle est la probabilité qu'un produit acheté au XXe siècle en pharmacie soit dédié à la restauration du cuir ? Les pharmacies de l'époque n'étaient pas comme celles d'aujourd'hui qui vendent à peu près n'importe quoi.
Jusqu'à quelle année les numéros de téléphone débutaient par des lettres, suivies de 4 chiffres ?
Selon la section La multiplication des numéros de téléphone sur les 125 ans de Bell Canada, on indique que :
Avec la croissance des appels interurbains, l'utilisation d'indicatifs régionaux s'impose. En 1945, pour uniformiser les numéros de téléphone, l'Amérique du Nord établit à sept le nombre de chiffres d'un numéro de téléphone et maintient l'indicatif régional à trois chiffres. Jusque dans les années 1950, les numéros de téléphone comprennent des lettres qui renvoient aux noms des centraux téléphoniques qui desservent les abonnés. Quelques années plus tard, en 1960, Bell Canada remplace les lettres par des chiffres.
Donc on suppose que la bouteille date au maximum des années 50.
Si je me fie à l'adresse actuelle dans le quartier Villeray, la vocation médicale du lieu n'aurait pas changée puisqu'on y trouve Lan Nguyen Pharmacienne. Le rôle foncier de la ville de Montréal indique que le bâtiment actuel aurait été construit en 1928.
J'en conclus que ça doit dater d'entre 1928 et 1950 et qu'elle est agée de 60 à 80 ans. Si quelqu'un a plus de précisions, n'hésitez pas à me contacter.
Des items comme ceux-là ont souvent pris le chemin des poubelles, ce qui en fait un objet d'une certaine rareté. Si, par hasard, quelqu'un de sa famille lit ce billet, je sais que ça peut avoir une valeur symbolique et je serais heureux de vous la remettre gratuitement. Pour l'instant, elle demeure dans ma collection.
Conclusion
Mis à jour le 21 décembre 2012
Lorsqu'on lance une bouteille à la mer, les chances qu'elle soit retrouvée sont minces. Si le hasard le veut bien, c'est à force de patience qu'elle pourra être recueillie un jour, peut-être bien des années plus tard. Coup de chance, ou la magie des internets, celle-ci n'aura eu besoin que quelques semaines pour être découverte par une lectrice de ce blogue qui a fait le rapprochement entre un Monsieur Trépanier qu'elle connait qui avait jadis été pharmacien. Une fois le lien confirmé, c'est sa fille, Lucie, qui m'a contacté pour récupérer le flacon dans le but d'en faire une surprise et de l'offrir à son père lors d'un souper familial.
Il y a quelques jours, je suis allé à la rencontre de Lucie pour la lui remettre. C'est une expérience peu ordinaire quand deux inconnus, avec pour seul lien commun un simple flacon, se donnent rendez-vous dans un centre d'achat pour échanger sur son histoire. Il n'aurait pas été surprenant de voir des gens attablés autour de nous jeter un coup d'oeil curieux face à deux étrangers qui contemplaient des photos d'époque et une petite bouteille de liquide jaunâtre... Rendu là, who cares!
Lucie m'a confirmé que l'origine du flacon devait dater des années 50, époque où son père a ouvert sa pharmacie sur la rue St-Hubert. Cette petite curiosité allait donc se retrouver entre les mains de celui qui l'avait jadis concocté, avec son lot d'histoire, anecdotes et secrets. J'ai de la difficulté à m'imaginer l'émotion qu'on peut ressentir quand on est en présence d'un objet qu'on a tenu dans ses mains une soixantaine d'années plus tôt, sans doute au tout début de sa carrière. Un objet aussi banal soit-il, qui n'a aucune valeur marchande mais qui, en même temps, n'a pas de prix.
Jusqu'à ce que je reçoive des photos de l'événement où Monsieur Trépanier était entouré de ses enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. À l'approche de Noël, la conclusion de cette histoire a quelque chose de magique.
Dans notre dernière communication, Lucie n'aurait pas pu trouver plus juste que cette citation de Dominique Bretodeau dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain :
C'est drôle la vie. Quand on est gosse, le temps n'en finit pas de se traîner et puis, du jour au lendemain, on a comme ça 50 ans. Et l'enfance, tout ce qu'il en reste, ça tient dans une petite boîte. Une petite boîte rouillée.
C'est tellement vrai.
À l'approche de Noël, je tiens à souhaiter à la famille Trépanier, mes voeux les plus sincères. Je lève mon verre à cette rencontre fortuite qui a pu ajouter un brin de bonheur, autant de votre côté que du mien.
Salutations,
Mathieu
Incroyable, mais vrai! Ce flacon provient de la pharmacie de mon père (pharmacie Trépanier, 7330 rue St-Hubert à Montréal). À cette époque (années 50-60), j'habitais juste en face, rue St-André, coin de Castelnau. Que de souvenirs cette petite bouteille éveille en moi! :-)